Cabaret : Willkommen

Cabaret : Willkommen

Reportée en raison de la pandémie et après, à n’en pas douter, de nombreuses heures de travail et de répétitions, la pièce Cabaret, produite par le Théâtre du Trident rayonne enfin sur les planches de la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec. Cette œuvre phare du siècle dernier, présentée à Broadway et adaptée au cinéma par Bob Fosse en 1972, est ici orchestrée par le metteur en scène Bertrand Alain qui a su raviver la flamme de cette comédie musicale et lui conserver son cachet des années 1930 à Berlin.

L’Américain Clifford Bradshaw (Gabriel Cloutier-Tremblay), un écrivain fauché en recherche d’inspiration, débarque à Berlin la veille du Jour le l’An et y fait la rencontre de l’Allemand Ernst Ludwig (Simon Lepage) qui le guidera dans la capitale et l’entraînera dans ses affaires louches. Son périple l’amène à fréquenter le Kit Kat Klub où règne une ambiance festive et voluptueuse, et où l’excentrique Sally Bowles (Sarah Villeneuve-Desjardins), la vedette de la place, viendra bouleverser son univers. Leur relation évolue au milieu de la montée inexorable du nazisme qui se referme comme une toile d’araignée sur le couple et les autres protagonistes de l’histoire.

Sarah Villeneuve-Desjardins, crédit Stéphane Bourgeois

Le numéro d’ouverture de la pièce est flamboyant. Emcee (Vincent Roy), le maître de cérémonie du club, est tout simplement époustouflant. Son jeu, sa voix, sa gestuelle, bref, sa performance est généreuse et complètement intégrée au propos. Six musiciennes et musiciens en direct interprètent avec brio les célèbres chansons de la comédie musicale. Celles-ci ont été traduites en français, ce qui surprend de prime abord. Les traductions sont cependant fidèles à l’esprit de la pièce et permettent de goûter la subtilité du texte. Les transitions entre les dialogues et les parties chantées sont fluides et amenées avec douceur par le petit orchestre sous la direction de Sébastien Champagne. Les partitions chorales sont fort justes et certaines d’entre elles sont profondément touchantes.

Les chorégraphies de Harold Rhéaume font honneur à la production. Elles sont suggestives à souhait, amusantes et suffisamment complexes pour que le public adhère aux numéros. Bien que les quatre danseuses du Kit Kat Klub soient de calibre inégal, on doit souligner le travail considérable que les comédiennes Gabrielle Ferron, Gaïa Cherrat Naghshi, Sophie Thibeault et Maude Boutin St-Pierre ont dû accomplir pour endosser la peau de ces personnages. Le fait par ailleurs que la performance des quatre jeunes femmes soit variable, que leur taille et leur morphologie soient diversifiées rehausse l’aspect fragile et populaire de la proposition en la teintant de vulnérabilité.

Reprendre le rôle de Sally Bowles, incarné par Liza Minnelli dans le film de Bob Fosse, représente un défi que Sarah Villeneuve-Desjardins doit relever chaque soir. Sa prestation dans les numéros de chant et de danse est impeccable. Elle possède une voix riche et précise. Son caractère fantasque, volage et impulsif semble toutefois accentuer avec excès, notamment par une gestuelle effrénée, ce qui éclipse malheureusement son côté plus sombre dans les scènes dramatiques. Le jeu des quatorze comédiennes et comédiens de la production est en général fort agréable. Les scènes impliquant notamment le duo Herr Schultz (Jonathan Gagnon) et Fraülein Schneider (Nancy Bernier) sont particulièrement savoureuses et extrêmement touchantes. L’expérience de ces interprètes de talent y est palpable.

La scénographie tout en angles et en courbes de Vano Hotton, avec son bar, ses tables et ses chaises, ses arches à jardin et son escalier à cour, reproduit l’intérieur du cabaret, le rend clinquant, bancal et débridé. Elle est suffisamment polyvalente pour figurer d’autres lieux comme le train et la pension où Bradshaw s’installe. Il en est de même des éclairages de Nyco Desmeules qui sont toujours dans le ton et qui accentuent l’ambiance de la boîte de nuit en la maintenant présente, même lors des tableaux qui se déroulent ailleurs. Les costumes de Julie Lévesque sont d’époque et, comme les maquillages et coiffures de Nathalie J. Simard, ils se marient superbement à l’histoire. Tous les éléments scénographiques sont en parfaite harmonie pour refléter à la fois l’atmosphère ludique de la vie nocturne, la vie austère de la grande dépression qui a fait suite au krach boursier de 1929 et l’avenir politique inquiétant de la nation.

Pour celles et ceux qui ont vu et aimé le film Cabaret, la production du Trident vous fera revivre les moments marquants de cette œuvre cinématographique. Pour les autres, elle vous transportera dans un monde qui suscite la réflexion sur les aberrations du passé en vous souhaitant avec passion, énergie et sensualité : « Willkommen, Bienvenue, Welcome ! ».


Cabaret présenté du 13 septembre au 8 octobre 2022, au Théâtre du Trident

Crédit photo Stéphane Bourgeois

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