Carrefour 2022 : I/O – Réflexions technoavisées pour sortir de la dystopie

Carrefour 2022 : I/O – Réflexions technoavisées pour sortir de la dystopie

Présentée à la salle Méduse du 31 mai au 2 juin dans le cadre du Carrefour international de théâtre 2022, la pièce I/O nous invite à un espace de réflexion intimiste sur le techno-utopisme, spécialement dans le contexte de la COVID-19 et de l’urgence climatique. La compagnie de théâtre Post-Humains poursuit son exploration des questions éthiques qu’elle a soulevées en 2017 avec sa production théâtrale du même nom, qui portait sur le mouvement cyborg et le transhumanisme. Dans I/O, l’autrice et co-metteuse en scène Dominique Leclerc incite le public à (re)penser la finitude de l’espèce humaine, le vieillissement, la maladie et la mort, à la lumière des avancées technologiques et des écoles de pensée posthumanistes.

Dominique Leclerc porte avec une surprenante vivacité le monologue qu’est I/O, avec l’appui de Patrice Charbonneau-Brunelle et de Jérémie Battaglia, qui assurent la manipulation des éléments scénographiques et la captation vidéo de la pièce, en plus d’y exercer des rôles de figuration. La production exploite habilement les jeux de perspectives que permet la prise d’images et leur projection en direct sur la paroi-écran qui constitue l’élément central du décor. Les images au cadrage serré et à l’esthétique soignée de Jérémie Battaglia épousent magnifiquement les histoires racontées par Leclerc.

L’œuvre allie la démarche de recherche documentaire à un récit plus nostalgique, à une narration plus personnelle et autobiographique. En parallèle à une trame constituée d’entrevues vidéos d’adeptes du transhumanisme et du posthumanisme, Dominique Leclerc retrace le rapport personnel qu’elle a développé à « l’éphémérité » humaine, de son éducation catholique, jusqu’aux derniers jours de son père. Tout au long du spectacle, elle s’affaire à créer une archive qu’elle dédie à l’humanité future, elle rassemble sur scène des objets désuets qui ont marqué les premières années de sa vie et lègue ses souvenirs. Ce choix artistique permet d’écarter l’approche didactique classique du théâtre documentaire, au profit d’une expérience vécue qui expose la constante transformation de notre rapport au monde et à ce qui fait de nous des humains. La part de vérité et de fiction dans l’histoire de Leclerc nous échappe, et cela importe peu ; l’empathie qu’elle suscite permet, dans tous les cas, de provoquer des questionnements éthiques chez le public en lien avec les avancées technologiques évoquées dans les entrevues projetées sur le décor. Alors qu’elle nous raconte le processus d’aide à mourir de son père et le désir de ce dernier de décider de sa mort, des adeptes du transhumanisme aspirent à l’immortalité. En l’occurrence, les extraits vidéos mettent en lumière une diversité de points de vue sur les thèmes de I/O; ils présentent autant des personnes qui adhèrent au discours transhumaniste que des personnes qui le critiquent. Par ailleurs, le traitement de leurs témoignages illustre une réelle sensibilité et un respect de la part de l’équipe de création à l’égard des interviewé.e.s. Cette plongée filmique dans l’univers posthumaniste donne, d’ailleurs, un captivant avant-goût du long métrage documentaire que coscénarisent et coréalisent Dominique Leclerc et Jérémie Battaglia sur le couplage du corps humain avec la technologie (une production de l’ONF).

I/O est une pièce de théâtre fascinante, ayant visiblement impliqué un remarquable travail de recherche et de conception artistique. L’approche nuancée de l’équipe de création quant aux discours technophiles et technophobes témoigne de réflexions critiques approfondies. Post-Humains évite la perspective dystopique et alarmiste habituelle des récits de science-fiction pour proposer un discours avisé et optimiste, infiniment plus indiqué pour (re)penser le monde de demain.

La pièce sera présentée du 31 mai au 2 juin, à Méduse.

Crédit photo Valérie Remise

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