Casteliers 2022 : Racontars arctiques – L’irrésistible charme brut du nord

Casteliers 2022 : Racontars arctiques – L’irrésistible charme brut du nord

Le long passage du temps suit sa propre cadence là-haut, au nord du 73e parallèle, au milieu du siècle dernier. Des hommes solitaires, mi-ours mal léchés, mi-oies sauvages, trouvent dans leurs petites cabanes un refuge contre les vents froids et l’âpreté du paysage du Groenland. Le temps y est long entre deux chasses, et les voisins de cabane peuvent aussi bien devenir une tribu soudée dans l’adversité qu’une nuisance dont on se passerait bien…

Adaptée des bandes dessinées Racontars arctiques, elles-mêmes inspirées des récits nordiques de l’auteur danois Jørn Riel, la production du collectif La ruée vers l’or est un pur bonheur pour les yeux et les oreilles, que l’on connaisse les BD ou non!

Les personnages colorés, les Lodwig, Anton, Bjørken, Pedersen, Museau et compagnie forment la faune bigarrée de Racontars arctiques et se révèlent tous plus attachants les uns que les autres, malgré leur côté rustre, leurs (énormes) défauts et leur propension à enjoliver leurs récits. Leur incarnation, par une distribution qui s’en donne à coeur joie avec les accents et le maniérisme de leurs personnages et marionnettes, fait plaisir à voir. Si certaines marionnettes se ressemblent (d’un gros barbu ou d’un grand maigre à l’autre…), impossible de confondre qui que ce soit tant chaque personnage a sa manière de bouger et de s’exprimer. Anne Lalancette, Jérémie Desbiens et Jean-François Beauvais maîtrisent chaque mouvement et chaque respiration au travers de nombreux changements de scènes et d’une pléthore d’accessoires et de marionnettes à différentes échelles. Les trois marionnettistes, qui donnent vie, à eux seuls, à toute une galerie de personnages, s’amusent visiblement beaucoup avec les marionnettes fantastiques conçues par Sophie Deslauriers (d’après les dessins de Hervé Tanquerelle), qu’on avait eu la chance d’admirer en vitrines lors de Casteliers 2021.

La scénographie ingénieuse de Racontars arctiques permet de changer de scènes en un rien de temps et avec un minimum d’accessoires. Elle évoque tantôt l’immensité du territoire, tantôt les intérieurs sobres, mais accueillants des cabanes plantées au milieu des glaces du Groenland. On goûterait presque à ce Grand Nord d’une autre époque. Le bruitage et la trame sonore réalisés en direct par le musicien (et un peu magicien) Alexandre Harvey contribuent à rendre ces récits encore plus vivants.

La production déborde aussi d’humour, tant dans les échanges parfois pas piqués des vers entre les personnages que dans les histoires abracadabrantes racontées avec une foule de détails qui rendent sympathique même le plus bourru de ces chasseurs. La mise en scène de Francis Monty fait défiler toute une kyrielle de tableaux, comme si le public parcourait lui-même les récits de Jørn Riel. Et la complicité entre les marionnettistes et le musicien cimente la réussite de ce spectacle, qui, au travers de racontars, rigolades et exagérations, traite aussi de thèmes universels comme l’amitié, le deuil et le cheminement personnel.

Vérités ou mensonges? Quelle importance, ces racontars arctiques sont passionnants! Leurs histoires sont autant de fenêtres ouvertes sur le quotidien rude d’hommes rustres, mais joyeux drilles, pour qui un enterrement représente la meilleure occasion de se retrouver, de boire, de danser et peut-être aussi un peu de s’épancher à l’oreille du mort pour enfin confier leurs craintes, regrets et insécurités.

Racontars arctiques est une histoire de résilience, de communauté d’esprit au travers de l’isolement et d’une force de vivre qui, malgré toutes les difficultés, triomphe à la fin. Comme le printemps triomphe de l’hiver.

Crédit photo Louis-Martin LeBlanc

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