Entre les lignes de Québec en toutes lettres – dernière partie

par David Lefebvre

Du 29 septembre au 8 octobre 2016, notre rédac’ chef David Lefebvre se transforme en « véritable festivalier » et assistera à une dizaine d’événements du Québec en toutes lettres. Thème de cette année : le polar et le roman policier.

Dernier compte-rendu – Oeuvres de chair

Ils étaient encore nombreux, les curieux et les habitués, à participer à l’événement phare de Québec en toutes lettres, Œuvres de chair, dont le titre cette année prenait une signification particulière. Le polar étant le thème rassembleur de la présente édition, il était inévitable que les deux activités de la soirée – la rencontre éclair avec romanciers et romancières et les rendez-vous clandestins dans les chambres de l’Hôtel PUR – soient aussi teintées de la noirceur (et de la lumière) de ce genre littéraire prisé des lecteurs.

Rencontres éclairs - Crédit Renaud Philippe
Rencontres éclairs – Crédit Renaud Philippe

La première partie est toujours très sympathique : 3 minutes en compagnie d’un ou d’une auteure, tiré(e) au hasard, et pourtant presque rien n’est dit. Comme on aimerait parfois s’accrocher à la table, discuter plus longuement, tellement l’échange est passionnant ! Cette année, neuf écrivains se sont laissés tentés par l’expérience. Personnellement, j’ai pu discuter Moyen-Âge avec Maryse Rouy, de franc-maçonnerie avec Hervé Gagnon, du B-A ba de l’écriture d’un polar par Gary Victor (s’il donne un atelier d’écriture, courrez vous y inscrire, c’était captivant), de la carrière de Jean Lemieux et du plus récent roman du toujours très sympathique Richard Ste-Marie. Encore des tonnes de livres à me procurer en perspective.

Chambre de Guillaume Morrissette, crédit photo Renaud Philippe
Chambre de Guillaume Morrissette, crédit photo Renaud Philippe

Du côté des chambres, inévitablement, je n’ai pu tout voir, faute de temps. Le jeune auteur Guillaume Morrissette (trois romans à son actif, dont « L’affaire Mélodie Cormier » qui a remporté le Prix du premier polar 2015 du Festival de St-Pacôme) s’est amusé à séparer le groupe de visiteurs et lui balancer des énigmes. Au menu, anagrammes de capitales du monde, problèmes mathématiques, dictée, reconnaissance de langues et questionnaire d’observation à partir de photos. Ludique à souhait ; le groupe en a parlé longtemps après la visite.

Le Suisse Quentin Mouron a transporté les visiteurs dans son univers littéraire : photos d’Elvis et de James Dean, 33 tours et autres babioles des fifties décorent la chambre, alors que l’auteur, affublé de lunettes de type Ray Ban et d’un t-shirt blanc, lit quelques passages de son roman très américain aux multiples clichés intitulé « L’âge de l’héroïne ».

Direction la chambre du dénommé Chef, ancien de la SQ, qui enquête sur une affaire à laquelle est mêlée une activiste écologique et ancienne amante. L’auteure Marie-Eve Sévigny joue alors au guide dans ce petit espace habité par le personnage (livre sur les bateaux et autres accessoires témoignent de sa présence). Nous entrons alors dans le monde de « Sans terre », son plus récent roman dystopique, où corruption et bris récurrents du pipeline qui défigure la face du Québec sont maintenant monnaie courante dans les journaux de la province (preuves à l’appui épinglés sur les murs). Mais la libraire qui se cache à l’intérieur de Marie-Eve Sévigny n’est jamais bien loin ; elle profite du récit pour proposer quelques savoureuses lectures, dont « Alleluia pour une femme-jardin » de René Depestre, « La bataille de Pavie » d’André Jacques ou encore « Nos gloires secrètes » de Tonino Benacquista. Si l’exercice est intéressant et intrigant, le nombre de détails que le groupe doit absorber est effarant, et la vidéo utilisée pour présenter le personnage de Gabrielle Rochefort (une lecture d’un extrait du livre, dos à la caméra) qui aurait pu être très intéressant et ajouter un certain suspense à la présentation, sonnait malheureusement faux.

Chambre de Marie-Eve Sévigny, crédit photo Renaud Philippe
Chambre de Marie-Eve Sévigny, crédit photo Renaud Philippe

Bien installés à côté de Jacques Côté, on replonge dans le « scandale » de la censure du clergé québécois du film « I Confess » qu’Alfred Hitchcock avait tournée dans la vieille capitale en 1952-1953. Côté nous ramène à l’époque, dans la peau d’un censeur qui s’apprête, à la demande du clergé, à charcuter le film de près de 3 minutes, le rendant presque incompréhensible. Sa lecture de ce texte, qui semble avoir été inspiré par un article publié dans le numéro 44 d’Alibis, éveille (à nouveau) notre intérêt envers le film (dont quelques images mettant en scène Montgomery Clift et Anne Baxter sont projetées sur l’un des murs de la pièce) et l’exercice de la censure au Québec – quelques règles sont d’ailleurs collées sur l’un des murs de la suite. Avant de quitter, il invite quiconque inspiré par la lecture à écrire un titre possible dans la fenêtre de la chambre, qui procure une splendide vue sur la rue Saint-Joseph. Je vous offre mon titre : Les confessions caviardées.

La dernière chambre visitée sera la plus théâtrale, grâce à son côté immersif : notre guide, habillé comme un milicien, nous contraint au silence. Dans la chambre nous attend un homme ligoté à une chaise, les yeux bandés, saignant abondamment du front. Agressé par ses geôliers, il encaisse les coups, jusqu’à ce qu’un homme vienne lui parler. Bienvenue dans le sinistre, mais intrigant univers du troisième roman de Stéphane Ledien, « Sur ses gardes », qui s’inscrit dans la trilogie Les phalanges d’Eddy Barcot. On aurait peut-être préféré que les deux hommes jouent eux-mêmes leurs répliques plutôt que de les entendre d’un enregistrement ; reste néanmoins que l’activité fut tout de même marquante et l’élément trame narrative enregistrée/démonstration, relativement convaincant.

Chambre de Stéphane Ledien, crédit photo Renaud Philippe
Chambre de Stéphane Ledien, crédit photo Renaud Philippe

Ceux et celles qui ont pu voir les cinq autres chambres auront vécu des émotions très différentes des miennes. Peut-être manquait-il une certaine direction artistique globale aux activités pour rendre l’expérience encore plus captivante, mais encore là, comment généraliser quand on ne peut voir que la moitié des propositions ? Et à y réfléchir, il est plutôt normal que l’offre soit très différente d’un endroit à l’autre ; c’est davantage le désir de découvrir la créativité de chaque auteur/créateur que celui de voir la meilleure performance qui nous pousse à franchir les portes des chambres de l’hôtel.

Québec en toutes lettres a su encore une fois ravir autant les lecteurs avides que les festivaliers occasionnels grâce à des rendez-vous qui ont offert des moments forts, des tables rondes tout aussi accessibles que réfléchies, des vernissages, des expositions et des spectacles pour les petits comme pour les grands. Douze mois avant l’édition 2017 ; l’attente sera pénible… Par chance, on aura entretemps amplement de livres à dévorer !

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