Par Daphné Bathalon

En cette 15e année du Jamais Lu, l’auteur Martin Bellemare ouvrait le bal des lectures jeune public par un samedi si ensoleillé qu’il était presque cruel de s’enfermer entre les murs des Écuries, aussi agréable et convivial que soit ce théâtre! Il y avait pourtant (et heureusement) une belle assistance d’adultes et d’enfants pour assister à la lecture du Cri de la girafe suivi de L’oreille de mer.

Quittant donc les bruits quotidiens de la ville pour le silence feutré de la salle de théâtre, le public s’est montré très attentif au récit d’Emma. Cette étrange fillette avale les sons « mais pas par la bouche, par les oreilles » et les garde dans son ventre, d’où ils produisent un terrible boucan, à tel point qu’ils empêchent Emma de dormir, puis ses parents, et bientôt ses voisins. Emma avale tous les sons de machines : le camion, la voiture, les cris d’animaux entendus sur Internet… mais elle ne comprend pas ce qui ne fait pas de bruit : les idées de son ami Manu par exemple, ses émotions. Qu’est-ce que ça fait le bruit d’une mère qui meurt? Manu, lui, transforme toutes les paroles qu’il entend jusqu’à ce qu’elles correspondent à ce qu’il veut entendre.

Crédit photo David Ospina
Crédit photo David Ospina

Le texte de Martin Bellemare, mis en lecture par Marie-Ève Huot, laisse toute la place à ces enfants perdus au milieu de tous les bruits environnants, ces enfants qu’on écoute peu, qu’on envoie chez le spécialiste pour les guérir de leur problème de bruit. Les sons eux-mêmes racontent l’histoire d’Emma et de Manu, leurs questions, leur conception du monde qui les entoure. Leur quête pour arriver à nommer ce qu’est une émotion se fait dans la cacophonie du ventre d’Emma avant qu’ils ne trouvent finalement une réponse dans le silence d’un thé partagé avec une girafe et le spécialiste, pendant un enterrement.

Sur la petite scène des Écuries, Évelyne Rompré et Simon Labelle-Ouimet forment un duo d’enfants des plus attendrissants. Il émane en effet de leur lecture et du texte de Bellemare une grande douceur. L’histoire va doucement, sans se presser, effleure les inquiétudes d’Emma et de Manu, sans insister. Comme eux, on sent lentement naître en nous le besoin d’entendre ce fameux cri de la girafe.

Avec L’oreille de mer, l’auteur explore une structure moins linéaire, il s’amuse même à déconstruire sa narration en interrompant constamment les interactions des personnages par un bruit, intrigant, toujours le même, et que seuls certains paraissent entendre, parfois. Dans cette histoire, on retourne dans la maison du spécialiste. On y retrouve Emma et le spécialiste (attachant Michel Mongeau), mais on y rencontre aussi Chourouk, Carlton et Audrey, tous pensionnaires, tous aux prises avec des problèmes liés aux bruits. Dans un univers absurde qui rappelle celui exploré par Le Projet Bocal, Martin Bellemare se questionne, par la voix du spécialiste : qu’est-ce qu’on peut faire pour les gens qui portent en eux les sons du monde?

Crédit photo David Ospina
Crédit photo David Ospina

Tantôt les personnages s’interrogent sur un son qui ne sonne pas comme il le devrait, tantôt ils s’intéressent aux sons que l’oreille humaine n’entend pas (les ultrasons, les infrasons), tantôt encore ils prêtent attention à cette musique intérieure qui fait de nous de véritables oreilles de mer. Plus confus à la mise en lecture, de par sa forme et sa narrativité éclatée, ce second texte résonne néanmoins avec pertinence, en écho au Cri de la girafe, plus poétique. L’un et l’autre texte gagneraient peut-être en force dramatique en formant un tout conséquent plutôt qu’une suite?

À suivre, par ma collègue Gabrielle Brassard, Vendre ou Rénover, Centre d’achats et Gamètes

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