par Odré SimardMois Multi

Chaque année, le Mois Multi nous attend dans la froideur de février pour nous stimuler, nous confronter et nous fasciner. Chaque spectacle contient son lot d’inattendu et d’étonnant. Entre ce que les mots nous disent sur papier et ce que l’expérience nous fait vivre, un monde s’érige. Il faut arriver sans attente, pour se laisser la chance de vivre pleinement ces objets de théâtre, de musique, de danse ou autre, mélangeant souvent les genres pour en faire une démarche multidisciplinaire, mais toujours générée ou fortement imprégnée par les technologies. Ces spectacles remettent en question les limites de la représentation de tout acabit et se réinventent sans cesse.

Cette année, MonTheatre a le plaisir de couvrir une partie du festival.

Première partie

Loss – Layers de A.lter S.essio (première nord-américaine)

Looss-LayersCe collectif franco-japonais nous présente deux performances chorégraphiques en totale interaction avec les arts électroniques. Un carré blanc d’environ trois mètres par trois mètres supporte un être humain d’abord asexué et sans visage, recroquevillé, dos à nous. Les formes dessinées par le projecteur sur le corps ainsi que sur l’espace restreint qui le borde deviennent tant d’obstacles et de stimuli qui l’entraînent dans une lutte implacable. La femme se libère de sa peau beige qui lui masquait toute individualité et se dévoile à nous, non sans continuer à se battre à travers une gestuelle conditionnée par le butô. Les sons lourds et industriels se transforment en bruit de mitraillette et le carré blanc s’enveloppe de rouge. Puis, le son devient insoutenable et chaotique alors que l’interprète s’accroche un sourire et semble alors légère et désinvolte. Un changement de costume a lieu pour la deuxième partie, mais nous demeurons dans une énergie similaire. Les ondulations visuelles transforment le corps de l’interprète tout autant que les sons dérangeants qui nous font sursauter à plusieurs reprises.

Les deux sections nous renvoient un sentiment de violence, d’urgence, de peur, de mort, de folie. L’interprète Yum Keiko Takayama nous offre une performance à couper le souffle, dans une maîtrise du corps impeccable ainsi qu’une expressivité débordante. Le traitement de l’image ne fait qu’un avec la chorégraphie et les effets rendus sont très réussis. Par contre, le son pourrait être un des points irritants de la représentation. Bien qu’il soit clair que le volume de la séquence avait pour objectif de déranger et que le fait qu’il soit si fort était complètement assumé, il n’en demeure pas moins que plusieurs personnes de l’auditoire devaient mettre leurs mains sur leurs oreilles pour une bonne partie du spectacle. L’expérience porte à réfléchir, car tant dans la gestuelle que dans la partie sonore, il s’agit de démontrer la violence et le caractère insoutenable d’une expérience, mais au final, notre mécanisme de défense de se protéger les oreilles nous emmène à sortir de l’expérience et ainsi se distancier. Malgré ce point, Loss-Layers s’avère une performance très intense.

Outrage au public de Christian Lapointe

Outrage au publicLa plus récente œuvre de Christian Lapointe nous présente un texte de Peter Handke, tiré du mouvement de la non-représentation, et ce, à travers des voix de synthèse et avec nous, public, comme seul support visuel.

Même si les voix désincarnées nous répètent qu’il n’y aura pas de pièce et que nous sommes dans la « vraie vie », sans artifice et sans intention particulière de représentation ni symbolique recherchée, il n’en demeure pas moins que nous sommes dans l’événementiel et que le moindre choix, autant dans ce qui est dit que dans la façon de nous le présenter, nous pousse à la réflexion. Le public tend l’oreille, tous les regards posés vers cette projection de nous-mêmes, et nous cherchons à comprendre. Finalement, les voix nous proposent le contraire, que tout était choisi et intentionné, bien sûr!

Lors de la rencontre suivant la représentation, Christian Lapointe s’excusait presque de nous avoir fait « subir » l’expérience. Personnellement, je ne me sentais pas outrée : il s’agissait à mon avis d’un exercice de style complètement pertinent. Le texte de Handke est brillant et on le croirait spécifiquement écrit pour la lecture qu’en fait Lapointe. Il est certain, par contre, que passé l’amusement et la réflexion initiale, le tout devient moins stimulant. C’est donc un exercice de style ingénieux supporté par une démarche profonde qui parle davantage aux initiés, amateurs de festivals tels que le Mois Multi ou le Carrefour international de théâtre, où l’on est prêt à plonger dans maintes expériences hors du commun. Ce spectacle aurait-il une vie dans un cadre plus traditionnel?

L’enfant lunaire, Daniel Danis

Cette nouvelle œuvre de Danis nous présente d’abord un texte à la hauteur de l’écrivain, un récit toujours imagé, très sensoriel et poétique. Nocturne, un enfant à la tête déformée ne peut vivre que la nuit et dormir le jour. Ses parents lui achètent un jour une bicyclette adaptée, complètement phosphorescente. Au fil de ses explorations, il trouve des grenouilles écrasées et séchées, puis un étang d’où semble émaner une étrange lumière. L’arrivée de militaires près de la petite ville sème la terreur et ces derniers n’aiment pas Nocturne avec ses idées rêveuses et contraire à ce que tous doivent penser et croire. La lumière vient plutôt des cieux. L’armée ne laissera pas longtemps ces pensées dangereuses en circulation.

L’acteur qui nous récite le texte est en fait un narrateur qui, pour la majorité du temps, lit sur une feuille. Ce choix des feuilles laisse quelque peu pantois, créant une distance, nous sortant du propos. Nous perdons la connexion habituelle au regard des interprètes. Le narrateur se déplace sur un carré blanc où des objets mécanisés réalisés par Julien Maire bougent à certains moments, dont deux rubans noirs qui forment une croix. Les constructions mécaniques ne réussissent pas à créer un dialogue avec l’acteur. Elles sont intéressantes pour elles-mêmes, on se plaît à les voir se déployer, mais à trop vouloir placer deux espaces sans lien commun, soit le récit et le dispositif géométrique, comme nous le présente Danis lui-même lors d’une rencontre après la représentation, on finit par les considérer comme deux espaces indépendants et perdre ainsi la possible magie qui aurait pu opérer. La trame sonore créée par Marc Doucet est captivante et permet de créer une ambiance qui s’avérerait réellement manquante, si elle n’y était pas.

La piste de recherche empruntée par Danis et ses concepteurs n’était peut-être pas assez solide pour une première représentation, mais qui sait ce que le temps pourra donner comme carburant à ce texte pourtant si riche et prometteur.

Site du Mois Multi : http://mmrectoverso.org/fr/

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