FTA 2021 – Dans le nuage : Qui sommes-nous?

Cinq ans après nous avoir invités à explorer les confins de notre identité biologique et numérique (et de la frontière floue entre les deux) avec Siri, aussi créé au FTA, c’est dans les confins du cosmos que Laurence Dauphinais et Maxime Carbonneau nous propulsent, à la suite des sondes spatiales Voyager, à la rencontre de l’inconnu et aussi, et surtout, de nous-mêmes.

Crédit Hugo B Lefort

L’espace fascine l’humanité depuis des millénaires, mais les premières explorations des agences spatiales américaine et russe ont fait naître dans les années 1960 et 1970 une véritable frénésie : qui mettra le pied le premier sur la Lune? Les autres planètes du système solaire abritent-elles la vie? Les extraterrestres existent-ils? Où sont-ils? Est-il possible d’entrer en contact avec eux? Et avec cette grande curiosité est aussi venue l’envie de se faire entendre, de communiquer, de laisser une trace pour les générations futures ou même pour ce qui viendra après la disparition de l’humanité. Alors que notre avenir s’assombrit et que l’être humain semble déterminé à contribuer à sa propre extinction, quelle est l’image que nous souhaiterions donner de l’humain aujourd’hui à de potentiels extraterrestres?

Dans le nuage (première mouture) se penche sur l’histoire derrière la création du Golden Record, un enregistrement d’images et de sons embarqué sur les sondes Voyager en 1977 et destiné à d’éventuels extraterrestre pour leur faire entendre l’essentiel de l’humanité.

Crédit Hugo B Lefort

Portée par une distribution sans faille, le spectacle semble compresser le temps sidéral tant il file à vive allure sans jamais nous larguer en cours de route. À la conception, au texte et à la mise en scène, Laurence Dauphinais et Maxime Carbonneau ont l’intelligence de braquer leur regard sur la profonde fragilité de l’être humain. La tête dans les étoiles, mais les deux pieds bien sur Terre, la production de La Messe Basse met le doigt sur nos faiblesses, cachées derrière notre volonté de présenter le meilleur de nous-mêmes, et sur notre fol espoir d’entendre une voix venue de l’espace répondre à notre bouteille à la mer.

L’expérience de Dans les nuages se déroule en deux temps. D’abord en ligne, en amont du spectacle : le public est sollicité pour suggérer des contributions au Golden Record, si on pouvait envoyer une nouvelle version avant que les sondes quittent le système solaire pour toujours et qu’on perde contact avec elles. Certaines de ces propositions visuelles, musicales ou sonores se retrouvent d’ailleurs dans le spectacle (faites-vous plaisir et adressez une question à l’univers!). Ensuite, l’expérience se poursuit en salle, où il est bien sûr question d’humanité, d’espace et de transmission.

Robin-Joël Cool, Karine Gonthier-Hyndman, Leila Donabelle Kaze, Olivier Morin et Gabriel Szabo conjuguent leur propre rôle de comédiens invités à prendre part au projet et les rôles des personnages historiques de Carl Sagan, Linda Salzman-Sagan, Ann Druyan, Frank Drake et Timothy Ferris, qui se sont vu confier le mandat impossible de sélectionner le contenu du Golden Record. Le public, lui, incarne le sixième membre de l’équipe, Jon Lomberg, mais il n’apporte aucune contribution pendant la portion en salle, ce qui est bien dommage. La pièce nous montre comment le défi de synthétiser l’humanité a poussé ces hommes et ces femmes jusqu’au point de rupture…

Crédit Hugo B Lefort

Malgré les dates et les informations scientifiques qui déboulent au fil de l’heure quarante-cinq que dure le spectacle, Dans le nuage parle avant tout de nous en tant qu’espèce et en tant qu’individu. On y retrouve la jalousie, la colère, l’envie, l’attirance, la foi, les croyances… ce qui a été écarté du Golden Record pour ne montrer que le plus beau et le plus consensuel de l’humanité, comme si on voulait faire bonne impression et léguer une belle image pour la postérité.

Le texte de Dauphinais et Carbonneau déborde de faits historiques et scientifiques intrigants, amenés de manière pertinente par la bouche des acteurs ou de leurs personnages. Le quintette de comédiens trouve d’ailleurs le ton juste pour communiquer cette matière dense, mais ô combien passionnante, avec un mélange d’enthousiasme et de rigueur.

Entre les gros plans transmis par le petit studio d’écoute, les graphismes évoquant le cosmos en hauteur, et la salle où s’est décidé le contenu du Golden Record, l’espace scénique conçu par Max-Otto Fauteux permet une juxtaposition des actions et des images en évitant la surcharge. L’environnement musical atmosphérique signé Navet Confit complète la production à merveille, résonant comme un pulsar ou se rapprochant de l’ambiance planante induite par certaines substances… L’habillage sonore, constamment présent sans devenir omniprésent, crée de très beaux moments, notamment lors de la recréation du périple de Voyager jusqu’aux limites du système solaire, jusqu’au dernier regard tourné vers la Terre.

Dans le nuage offre un voyage en douceur dans les étoiles, non sans soulever au passage de nombreuses questions sur la nature humaine. Carbonneau, Dauphinais et leur équipage signent une prometteuse première mouture en brossant le tableau de cette vie sur terre, petite scène esseulée dans la vaste arène cosmique.

Du 7 au 11 juin 2021
Cente du Théâtre d’Aujourd’hui
fta.ca

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