Instable : La dangereuse quête d’équilibre

Instable : La dangereuse quête d’équilibre

Le cirque international est de retour à la TOHU ces jours-ci avec Instable, de la compagnie française Les Hommes penchés. Malgré tout le talent de nos circassiens québécois, c’est un grand plaisir de pouvoir à nouveau découvrir des productions venues d’ailleurs. Et Instable offre tout ce qu’on peut attendre d’un spectacle de cirque : performance, virtuosité et prise de risque.

Comme un enfant qui s’y prend de la manière la plus dangereuse pour atteindre le pot de biscuits en haut de l’armoire, un acrobate (Nicolas Fraiseau) s’efforce d’installer son dispositif scénique au mépris de tout conseil de prudence et de toute règle de sécurité. Les tréteaux sous lui reposent en équilibre précaire sur des pneus, formant un plancher instable qui dissimule des chausse-trappes, des vis branlantes, des planches à bascule… Impossible de parvenir à redresser ce mât chinois!

Et pourtant, moqué par les ricanements d’une mystérieuse corneille, déconcentré par un grondement récurrent, l’énergumène maladroit s’entête et persévère. S’il tombe une fois, il se relève cent fois et trouve toujours moyen, même si de manière détournée, un peu broche à foin, d’atteindre son but : solidifier le mât et l’encorder solidement. Sur les tréteaux mouvants qui donnent à la scène des allures de radeau de fortune, il cherche le point d’équilibre, mais rien n’est simple : quand ce n’est pas une vis qui retrousse et prend la fuite, c’est une corde trop courte, un pneu en trop, une planche sans soutien, et même un lacet défait!

Tandis que la scène se désagrège sous ses pieds, l’acrobate semble toujours au bord de la perte d’équilibre, sauf quand il s’élance à l’assaut du mât. Soudain, comme l’albatros gauche au sol, mais gracile dans les airs, l’acrobate devient parfaitement en contrôle, donnant l’impression d’échapper à la gravité.

Instable tient tout entier sur les épaules de Nicolas Fraiseau, sur son incroyable sens de l’équilibre, sous des dehors déséquilibrés, sur sa précision et sur sa capacité à capter l’attention du public. Et ce n’est pas rien quand le spectacle n’est qu’une succession d’échecs ou de victoires fragiles! Instable ne mise pas, comme d’autres spectacles, sur la performance à couper le souffle, il met plutôt de l’avant la valeur de la persévérance et de l’effort, le droit à l’erreur et à l’imperfection. Nicolas Fraiseau nous embarque avec lui dans les nombreuses tentatives de son personnage, et c’est avec coeur qu’on applaudit ses réussites, soulagés que nous sommes de ne pas l’avoir vu se blesser sérieusement*, assommé par un mât qui tombe ou culbuté par une planche redressée.

Sous ses allures de performance catastrophique où rien ne fonctionne, on sent la grande précision de l’artiste dont les chutes et accidents semblent plus vrais que vrais. C’est un spectacle dépourvu d’artifices : sous une lumière crue, sans musique la majorité du temps, avec les seuls sons des planches qui claquent, du mât métallique qui s’écrase au sol, des anneaux qui tintent ou des vis qui roulent dans tous les sens. Il n’y a que l’artiste, ses vaillants efforts et ses respirations. Et nous pour le soutenir et l’encourager.

Alors que nous traversons toujours une période de bouleversements qui mettent à mal notre équilibre mental au quotidien, Instable nous sert un rappel bienvenu : même quand on a l’impression de perdre pied, il y a toujours quelque chose à quoi se rattraper, une manière de faire autrement et de s’élever.

Photo : Tomàs Amorim

*Note de la Tohu : Veuillez prendre note que les représentations du spectacle Instable par Les Hommes Penchés sont annulées. Malheureusement, l’artiste s’est blessé et n’est pas en mesure de présenter le spectacle.

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