Par Magali Paquin (collaboration spéciale)

Crédit photo : Nic Cantin
Crédit photo : Nic Cantin

Keith Kouna, figure bien connue de la scène punk (avec le groupe Les Goules ou en solo), s’est attaqué à l’audacieux défi de s’approprier Die Winterreise, le dernier cycle de lieder écrit par Franz Schubert. Le Voyage d’Hiver est d’abord un album sorti en 2013, une longue traversée dans la poésie magnifique et déconcertante de Kouna. Puis est venue cette idée folle d’en faire un spectacle musical multidisciplinaire, présenté seulement quelques soirs d’hiver…

Pour assurer la mise en scène, l’auteur-compositeur-interprète a fait appel à Antoine Laprise (Théâtre du Sous-marin jaune). Celui-ci a su, grâce à d’ingénieuses trouvailles, créer un monde tout en simplicité et en sensibilité. Kouna se déplace dans un espace central bordé de bouleaux dénudés qui fait office de chambre. Il n’a, pour tout accessoire, qu’un frigo, un matelas et une table. Mais c’est sans compter la profondeur de son délire. Du réfrigérateur surgissent les démons, les bouteilles roulent sur le plancher incliné, les draps se froissent ou se déploient. Un fantôme féminin, sous les traits d’une danseuse contemporaine (Lucie Vigneault), erre tel un douloureux souvenir dans ce décor hivernal.

Crédit photo : Nic Cantin
Crédit photo : Nic Cantin

Or, Kouna, au sommet de son talent lorsqu’il bénéficie de la liberté propre à la scène punk, n’est pas ici dans sa zone de confort. Tout concentré qu’il est à exécuter les mouvements chorégraphiés pour lui, il en oublie de se laisser porter par ses propres chansons. Sa poésie bouillante de rage, d’amour, de désir, de désespoir et de folie y perd de sa force. Elle s’estompe dans une trame scénique qu’il réussit difficilement à faire sienne. Comment croire à cet homme qui perd la carte, qui s’enfonce dans les affres de la dépression et du délire, alors que ses moindres gestes sont étudiés et que toute spontanéité est étouffée ?

Évidemment, Kouna n’est pas acteur et Le Voyage d’Hiver, bien que théâtralisé, est avant tout un spectacle musical. Sur ce point, le déploiement d’une dizaine de musiciens, installés de part et d’autre de la scène centrale, est un délice pour les yeux et les oreilles. L’intimité de la salle Multi, idéale pour ce type de production, favorise l’immersion du public et crée une synergie réussie entre les différentes composantes scéniques.

Crédit photo : Nic Cantin
Crédit photo : Nic Cantin

Habilement dirigé par le pianiste Vincent Gagnon, co-maître d’œuvre des arrangements musicaux (avec René Lussier), le petit orchestre donne un souffle bienvenu à l’ensemble. C’est d’ailleurs les musiciens qui font respirer le spectacle, lequel se caractérise par son uniformité de ton. Maladresse ou parti pris ? Probablement cette dernière option. L’homogénéité narrative et tonale crée une atmosphère qui s’apparente plus à une forme de mysticisme qu’à de la monotonie. En témoignent les superbes jeux d’éclairage (Caroline Ross) qui sont toujours à propos, tant dans leur délicatesse que leur brutalité.

Il est difficile pour un artiste de maîtriser un spectacle qu’il ne présente qu’une poignée de soirs par année. C’est là tout le défi de Kouna et de son Voyage d’Hiver. Après deux ans de représentations, peut-être est-il temps pour lui de s’approprier véritablement son œuvre, de s’émanciper en partie de la mise en scène et de se ménager une marge de liberté. Car après tout, c’est avec l’esprit libre et désinvolte que Keith Kouna rayonne le mieux.

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