Marguerite : le feu : L’héroïne oubliée

Marguerite : le feu : L’héroïne oubliée

Quand on parle d’esclavage en Amérique, on pense aussitôt aux champs de coton du Sud, au ségrégationnisme américain et à ces colonies sudistes qui se sont bâties sur le dos de leurs esclaves. Et pourtant, l’esclavage existait aussi ici, en Nouvelle-France ! On lui consacre pourtant bien peu de lignes dans l’enseignement de notre histoire, au point où la majorité des gens ne savent même pas qu’il y a eu de l’esclavage au Canada.

Avec le nouveau projet de sa compagnie Onishka, Marguerite : le feu, Émilie Monnet redonne la place et l’importance que devrait occuper ce pan oublié de notre histoire dans notre vision du monde d’autrefois et d’aujourd’hui. Pour ce faire, elle nous invite à entendre l’histoire de Marguerite Duplessis, dont on connaît bien peu de choses sinon les maigres traces qu’elle a laissées dans les archives judiciaires de la colonie en 1740 alors qu’elle tentait de faire reconnaître son droit à être considérée comme une femme libre. Qui était Marguerite Duplessis, femme issue des Premières Nations réduite à l’esclavage? Qu’est-elle devenue après avoir été expédiée en Martinique par bateau puis revendue? Sa tragédie, c’est aussi qu’on ne sait rien d’elle, de son histoire, alors qu’on le devrait. Marguerite n’a qu’une petite plaque commémorative dans une rue transversale du Vieux-Montréal pour éviter de sombrer complètement dans l’oubli.

Okinum, précédente production d’Émilie Monnet, nous avait fait découvrir la force évocatrice de l’écriture de cette artiste d’origine anishnaabe/algonquine et française. Cette nouvelle création, dont elle cosigne la mise en scène avec Angélique Willkie, fait résonner la révolte et l’indignation qui couvent sous la surface, la quête de justice et de reconnaissance qui guide les Marguerite éprises de liberté, toutes époques confondues. Le feu qui brûle en elles. Le texte est un feu roulant, mais se morcèle en plusieurs performances qui ont pour la plupart toute la force d’un coup de poing au plexus de nos perceptions.

Dans une scénographie épurée de Max-Otto Fauteux qui fait la part belle aux éclairages de Julie Basse et aux vidéos atmosphériques de Caroline Monnet, trois femmes tentent de combler les trous dans l’histoire de Marguerite, suivant ses traces jusqu’en Martinique, questionnant notre mémoire collective défaillante tout autant que les violences faites aux femmes à travers les siècles. Aïcha Bastien N’diaye, Madeleine Sarr et Émilie Monnet portent leurs voix à toutes dans ce très court spectacle choral où lecture de documents juridiques (Sarr, brillante!), danse et chant forment un seul souffle chargé d’émotions et où une simple litanie de noms de famille peut dénoncer les silences de notre histoire aussi bien que faire frissonner. Les trois interprètes viennent de différents horizons, mais partagent la juste croisade de Marguerite pour la reconnaissance de son indépendance, de son humanité, de son existence même. Chacune a son souffle, son rythme, mais elles parlent et chantent d’une même voix. Marguerite est à la fois Noire et Autochtone, passée et contemporaine, sur scène et dans les limbes de l’histoire.

Émilie Monnet fait flamboyer Marguerite sur scène, nous la fait entendre comme elle n’a pu l’être lors de son propre procès. Le spectacle, qui forme un triptyque avec la série balado Marguerite : la traversée et un parcours sonore et performatif Marguerite : la pierre (à venir plus tard ce printemps), cède la scène à ces femmes marginalisées afin qu’on se souvienne de ce qu’elles ont subi et continuent de subir et qu’on les voit bien droites devant nous, à lutter pour la justice et la liberté, car c’est une bataille encore loin d’être gagnée.

Crédit photo Yannick Macdonald (photo recadrée)


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Calendrier

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Du 15 mars au 2 avril 2022, supplémentaire 3 avril

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