Platonov amour haine et angles morts : Je t’aime, je te hais

Platonov amour haine et angles morts : Je t’aime, je te hais

Après avoir séduit la critique à sa création en 2018, la coproduction du Groupe La Veillée et de LA FABRIK était de retour sur la scène du Théâtre Prospero, avec la même distribution de huit interprètes, mais dans une version légèrement différente. Platonov amour haine et angles morts, d’après l’oeuvre de jeunesse d’Anton Tchekhov, conserve heureusement son ton grinçant et dérangeant.

Dans sa grande demeure de campagne, dont elle devra bientôt se départir, faute d’argent, la veuve d’un haut gradé militaire, Anna Petrovna, a invité famille et amis, qui s’y retrouvent chaque été dans le plus grand désoeuvrement. On y mange, on y dort, on y boit, on y fête, sans se soucier de demain. Parmi les invités, le jeune et beau Mikhaïl Vassilievitch Platonov, issu de la petite noblesse, mais contraint de devenir instituteur pour subvenir aux besoins de sa famille. Le petit univers de ce manoir gravite autour de la figure de Platonov. Anna, son fils molasse et sa femme malheureuse, l’étudiante sensible, l’inquiétant médecin, la vieille rentière, la femme abandonnée de Platonov… Que ce soit par désir, par amour ou par jalousie, haine et mépris, tous se définissent par rapport à cet homme trop lucide, qui se montre aussi cruel. Pendant plus de deux heures, ils se détruisent les uns les autres dans une absence complète de joie et de tendresse. L’amour y est charnel, chimique, obsessif, presque mécanique.

À la création, la metteure en scène Angela Konrad sentait que quelque chose ne fonctionnait pas parfaitement dans le niveau de langue très international du texte, traduit en France. Pour cette nouvelle mouture, elle a donc confié la traduction et l’adaptation du texte à Michel Tremblay, qui a donné un ton plus familier, plus québécois aux personnages, lesquels soudain semblent faire partie de la famille, loin des salons mondains et des grandes demeures russes, où Tchekhov place souvent ses histoires.

La mise en scène de Konrad est brutale, comme son personnage central. Le texte de Tchekhov montre la cruauté des humains, qui se cachent derrière leurs mensonges, leurs angles morts, pour ne pas affronter la réalité et le jugement des autres, mais qui, ce faisant, s’entredéchirent. Konrad éclaire sans fard cette cruauté sur une scène vide de tout mobilier ou réconfort. Elle dirige sa distribution d’une main de maître, avec une précision brute, comme les coups assenés au plancher par le docteur désoeuvré. Les éclairages crus dont les couleurs parfois vibrantes rappellent la boîte de nuit, ne tranchent avec la noirceur épaisse dans laquelle les personnages s’engluent, rampent, se tortillent ou s’épivardent, comme écrasés par le poids de leur existence. Platonov est une bouée à laquelle ils s’accrochent, même si cette bouée les méprise profondément.

L’environnement sonore, couplé aux éclairages, forme un neuvième personnage implacable, qui habille la scène nue et découpe aussi bien l’espace que les tableaux, sans transition. Il détonne avec les ambiances et les tensions entre les personnages ou couvre leur détresse par un déferlement de décibels.

Quant aux humains en perdition, qui flirtent avec la mort, s’étourdissent de vodka ou s’enfument le cerveau avec drogue et cigarettes, ils sont au coeur de ce spectacle désenchanté. Toute la distribution brille dans cette production, de la gracieuse et froide veuve incarnée par Violette Chauveau au séducteur Platonov auquel Renaud Lacelle-Bourdon insuffle une énergie malsaine, en passant par le fils à « meman » interprété par Olivier Turcotte et la neurasthénique Sacha, (Debbie Lynch-White) qui traîne son marasme d’un bout à l’autre du spectacle comme une future pendue. Ils tournent en rond dans leur bocal, sans échappatoire.

Alors que la dramaturgie de Tchekhov peut paraître froide et distante, Platonov amour haine et angles morts s’ancre dans les tourments intimes de ses personnages. L’adaptation de Tremblay les rapproche d’autant plus de notre ordinaire. On ne peut parvenir ni à les aimer, ni à s’émouvoir de leur chute inévitable tant ils sont détestables, mais on reconnaît assurément en eux nos penchants auto-destructeurs aussi bien que nos mensonges. Un spectacle qui laisse un arrière-goût amer, un brin déroutant, mais qui donne aussi envie d’y repenser souvent.

Photo Vivien Gaumand


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Calendrier

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Du 23 novembre au 11 décembre 2021

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