par David Lefebvre

Tour d’horizon d’une semaine chargée au festival Québec en toutes lettres.

La programmation du festival de littérature de la Capitale, cette année, est véritablement foisonnante. Il fut difficile de faire un choix, comme vous l’aurez probablement remarqué en lisant le premier texte de la série.

Cette semaine, j’ai pu assister à quelques événements fort intéressants.

DEVENIR FRANKENSTEIN

D’abord, trouver la rue de la Vieille Université dans le Vieux Québec, sous la pluie froide d’octobre. Puis, pousser les portes du Collège François-de-Laval, monter les étages, traverser quelques corridors et enfin découvrir, avec la quarantaine d’autres curieux, le lieu de Devenir Frankenstein, lecture de textes de douze auteurs de la relève – Marrie E. Bathory, Geneviève Boudreau, Katy Boyer-Gaboriault, Danny Émond, Valérie Forgues, Ariane Hivert, Pierre-Luc Landry (Éric LeBlanc), Catherine Rochette (instigatrice et conceptrice du projet), Mathieu Simoneau, Marie St-Hilaire-Tremblay et Émilie Turmel.

S’extasier : l’équipe n’aurait pu choisir un plus bel endroit : petite classe laboratoire aux jolies boiseries, décorée de vieilles lampes, squelettes et tableau périodique. Les auteurs-lecteurs sont déjà en place et attendent, assis sur les comptoirs, sur les bords de fenêtre ou simplement debout. Sur un écran sont projetés des bouts de phrases provenant probablement du texte qui a inspiré le spectacle, soit Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley. Comme des chirurgiens, les auteurs ont extirpé un bout, une idée, une image du texte de Shelley pour l’incorporer à leur univers, à leurs écrits. Devenir Frankestein est l’aboutissement d’une recherche littéraire ; le résultat est généralement inspiré et réjouissant. Un thème revient constamment, celui de la mort, par l’entremise de la vie (ou est-ce l’inverse?).

Il y a, entre autres, le récit de la ligne droite, de la naissance à la mort, de « la route qu’on cimente aux semelles », dont il ne faut jamais dévier (Émilie Turmel) ; celui de la création de petits monstres tant désirés, racontant les premiers traitements in vitro (Ariane Hivert) ; celui d’une jeune fille qui tente de réanimer le corps de son petit frère mort violemment (Marie St-Hilaire) ; le troublant discours d’une mère d’un tueur en série (Katy Boyer-Gaboriault) et l’empathie d’un homme aux 20 coeurs (Danny Émond).

Si certains liens rappelant le texte original s’avèrent relativement évidents, d’autres le sont beaucoup moins. Ce fut le cas du récit de Pierre-Luc Leblanc, lu par Éric LeBlanc, à mille lieues des autres textes de la soirée, décrivant la soumission d’un homme envers son amant. La description détaillée et crue des relations sexuelles entre les deux hommes n’arrive pas à communiquer le désir, encore moins le plaisir de la soumission du narrateur. D’autres, dont celui de Mathieu Simoneau, proposant une prose poétique sur la nature, ou les courtes phrases de Geneviève Boudreau, offertes entre deux lectures à quelques reprises durant la soirée, étaient plus ardus à saisir.

Les lectures par les auteurs se sont avérées inégales ; malgré tout, les petits défauts n’ont pas terni le plaisir de la soirée : après quelques jours, l’envie de (re)lire certains passages reste bien ancrée au coeur du spectateur.


MARGARET ATWOOD – RUSSELL BANKS – ROBERT LEPAGE

La ville de Québec accueille en ce mois d’octobre le 81e congrès de PEN International. PEN International est une association mondiale d’écrivains, fondée en 1921 à Londres (H.G. Wells en a déjà été le président, tout de même !), qui milite « pour la liberté d’expression et qui soutient la littérature comme une force de la culture mondiale » (tiré du site www.pen-international.org). Cette année, pour marquer le coup, plusieurs activités du congrès sont conjointement présentées avec Québec en toutes lettres. Mercredi, les festivaliers et les congressistes étaient conviés à une grande rencontre au Palais Montcalm, sous les thèmes de la liberté de création et la liberté d’expression. Les invités de marque étaient la Canadienne Margaret Atwood, l’Américain Russell Banks et le Québécois Robert Lepage.

Animée par Bernard Gilbert, le directeur de la Maison de la littérature et de QETL, la soirée aura permis aux spectateurs d’entendre ces trois grands créateurs répondre à plusieurs questions, dont sur la création littéraire en rapport à la situation géographique, la liberté d’expression et la censure, l’idée de la création littéraire versus le produit que devient le bouquin une fois achevé et imprimé – une conception du livre très intéressante de la part de M. Banks -, le rôle des distributeurs dans le milieu du livre (le cas Amazon) et certaines réflexions rétrospectives sur Charlie Hebdo.

Si toutes les interventions ont été somme toute pertinentes, voire amusantes – la description de la procession de la Future Library à Oslo (projet de Katie Paterson), à laquelle Mme Atwood a participé, fut un superbe moment de la soirée -, plusieurs thèmes sous-développés ont donné l’impression de rester sur sa faim. On aurait aimé en connaître davantage sur leurs méthodes de travail, comment ils voient leur rôle social en tant qu’écrivain ou créateur.

Les amateurs de théâtre ont pu en apprendre un peu plus sur 887, la plus récente création de Robert Lepage, et sur Quills – dans laquelle il est justement question, de manière fictive, de mutiler le corps du Marquis de Sade pour l’empêcher d’écrire -, deux pièces qui prendront l’affiche cette année au Québec – au TNM pour 887, et à l’Usine C ainsi qu’au Grand Théâtre pour Quills. Si certains thèmes touchaient un peu moins M. Lepage, il a quand même pu aborder la liberté d’expression et de création grâce à une anecdote, alors que sa compagnie n’a pu présenter Les aiguilles et l’opium à Hong Kong, notamment à cause du sujet très sensible qu’est la drogue dans cette partie de l’Asie.

À la fin de la rencontre, l’auteur Yann Martel a remis le prix New Voices Awards à la jeune Galloise Rebecca F John, pour son texte Moon Dog. Les deux autres auteures en nomination étaient Lea Sauer (Allemagne) et Sophie Prévost (Rouyn-Noranda, Québec).

Vous pouvez lire les trois textes ici.

Robert Lepage, Russell Banks, Margaret Atwood, crédit Renaud Philippe
Robert Lepage, Russell Banks, Margaret Atwood, crédit Renaud Philippe


DOUCE ACADIE

Jeudi, on inaugurait la petite salle circulaire de la Maison de la littérature avec Anthologie diasporeuse. Montée et présentée par Gabriel Robichaud, cette fulgurante plongée nous faisait découvrir les textes de près d’une vingtaine d’auteurs acadiens, certains connus, d’autres qui mériteraient de l’être davantage : Raymond Guy Leblanc, Guy Arsenault, Herménégilde Chiasson, Ronald Després, Gérald Leblanc, Dyane Léger, Jean-Philippe Raiche, Hélène Harbec, Ronald Léger, Paul Bossé, Fredric Gary Comeau, Georgette Leblanc, Dominic Langlois, Jean-Paul Daoust, Gabriel Robichaud, Serge-Patrice Thibodeau, Monica Bolduc, Éric Cormier et Sébastien Bérubé. Choisis avec soin, livrés avec un extraordinaire talent, les textes touchaient tous les sujets : de la vie au quotidien à l’histoire de l’Acadie, en passant par le sentiment amoureux, la résistance, les chars, les jurons en anglais, la terre et les rues de la ville, les déportés, les anges protégeant des dactylos fantômes, le concept de féminité, les coups reçus et donnés, les tristes mortes dans leur cadre photo, de la vie, la vie, la vie.

Robichaud insuffle à chaque texte le ton parfait et l’émotion juste. Avec une certaine dégaine, il lance ses feuilles en l’air, qui retombe à ses pieds comme des feuilles mortes. On sourit inévitablement à l’accent qui apparait à quelques reprises lors de la soirée, créant une immersion parfaite ; on accroche à certaines phrases (« de prunelles fières et de poings tendus vers la lumière », « à cause que t’é ma vie », « tu aurais dû te réveiller puisque c’est alors que l’envie de mourir s’agrippa à ton corps »), on savoure la musicalité de la mer, de la terre et du ciel bas. On voyage aux quatre coins du Nouveau-Brunswick, et on rêve de Moncton comme si elle nous manquait terriblement.

Le lecteur charismatique est accompagné sur scène par le musicien et vidéaste Jonah Haché et le pluri-instrumentiste Sébastien Michaud, qui créent, par les mélodies à la guitare, la flûte, la trompette et le synthétiseur, par l’image 3D ou par de petits bouts de films, une ambiance sensorielle d’une grande richesse.

En espérant un jour, si ce n’est déjà fait, voir en librairie le recueil de ces textes… Assurément, il a déjà trouvé un acheteur.
BABEL À QUÉBEC

Quelle charmante idée que celle de Babel à Québec, qui invitait les auteurs participant au 81e congrès de PEN International à lire un extrait d’un de leurs textes, en français, en anglais, en espagnol, en cantonnais, en vietnamien, en hollandais, en russe… ! Le tout était présenté à trois endroits, soit le Morrin Center (quel magnifique endroit), la Maison de la littérature et le Palais Montcalm ; nous pouvions circuler d’un à l’autre lors des entractes. Curieusement, les moments les plus mémorables furent lors des lectures dans une langue étrangère. Se laisser bercer par l’arabe ou le vietnamien, découvrir le hollandais ou être secoué par un slam russe fut tout aussi dépaysant que fabuleux. Martien Bélanger, Andrée Bilodeau et Olivier Forest ponctuaient les lectures par une ambiance sonore et musicale adaptée au texte. Une superbe expérience !

babel

À VENIR
Oeuvres de chair

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