That moment – Le pays des cons : L’humour moldave à l’assaut de la corruption

That moment – Le pays des cons : L’humour moldave à l’assaut de la corruption

Alors que pleuvaient les bombes et les tirs d’artillerie russes sur le territoire et les citoyens terrés de l’Ukraine, il y avait quelque chose d’un peu surréaliste à se rendre à la salle Fred-Barry cette semaine pour voir la nouvelle création du Théâtre de l’Opsis, That moment – Le pays des cons, qui dénonce justement la corruption qui gangrène la Moldavie, un autre ancien pays membre de l’URSS.

La pièce, qui recoupe deux textes de l’autrice moldave Nicoleta Esinencu, ne peut en effet tomber à un meilleur moment pour se frayer un chemin jusqu’à nos oreilles. Avec cette production, le Théâtre de l’Opsis frappe juste. Il faut dire d’emblée qu’Esinencu n’y va pas avec le dos de la cuillère en termes de cynisme et de critique du régime de l’Est. Son personnage de That moment, que la mise en scène de Luce Pelletier fait parler par la bouche de cinq interprètes, est aussi désabusé que tordu, la morale irrémédiablement pervertie par des années de désillusions et de mauvais traitements (comme un père qui coupe un doigt à son fils qui lui a volé de l’argent), au point où il ne distingue plus le bien du mal, le moral de l’immoral.

Tout commence pourtant par l’évocation de doux souvenirs d’Odessa à quelques kilomètres de Chisinau, capitale d’un pays minuscule voisin de l’Ukraine et de la Roumanie, de ses plages et du bonheur de prendre le train jaune pour s’y rendre et voir la mer. Mais le décor conçu par Olivier Landreville, le mur d’un édifice à l’architecture brutaliste se renversant sous la poussée d’un énorme drapeau américain, l’évoque bien : la menace plane, le monde s’écroule lentement. La plage, rendue inaccessible par l’apparition de contrôles, n’est plus qu’un lointain souvenir, l’innocence de l’enfance disparaît sous l’autoritarisme de parents qui dictent, punissent, manipulent et corrompent sans discernement, à l’instar du gouvernement et de son élite. Les frontières du territoire se redessinent encore et encore jusqu’à ce que la Moldavie ne soit plus que l’ombre d’un pays, une société à l’identité floue.

Luce Pelletier, qui a travaillé avec le chorégraphe Sylvain Émard pour cette production, mise sur un spectacle choral dans lequel les interprètes, assis sur d’étroites chaises droites, se confient face au public, dans un rapport frontal qui laisse malheureusement le spectateur un peu froid. Christophe Baril, Sylvie De Morais-Nogueira, Caroline Lavigne, Daniel Parent et Laurianne St-Aubin forment pourtant un choeur aussi disparate que soudé : le texte vole à vive allure de l’un à l’autre dans un mouvement d’ensemble maîtrisé qui illustre bien que cette corruption morale touche toutes les générations, toutes les classes. Ils témoignent d’une même voix de la désintégration de leur société, de la disparition des valeurs, d’un esprit de communauté, d’un sens de la famille et de la décence au profit d’une course absurde à la richesse, au succès, au prestige, au rêve d’une Amérique idéalisée. Quand les interprètes quittent leurs chaises, c’est qu’ils perdent pied, cherchent leur air… Les chorégraphies sont à la fois simples et fortes, on en aurait pris davantage.

La pièce d’Esinencu, à l’écriture acérée, dénonce avec justesse et humour la corruption qui frappe au coeur de son pays, et la façon dont elle s’érige en système pour mieux s’immiscer sournoisement dans toutes les facettes, toutes les étapes de la vie de son personnage, jusqu’à sceller sa perte. Elle évoque en finesse la botte écrasante du capitalisme, d’États qui jouent leur jeu de puissance au détriment des individus et de l’humain, effaçant des frontières et redéfinissant des identités sans égard aux cultures qu’ils effacent.

Présenté à l’an trois du cycle sur les territoires féminins du Théâtre de l’Opsis, That moment – Le pays des cons fait prendre conscience de problèmes bien plus profonds que des chicanes de territoire et plonge au coeur même de cette humanité qui semble nous faire tant défaut ces temps-ci.


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Calendrier

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Du 17 février au 12 mars 2022

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